MANFRED :
Wilfred ?
Tu m’entends ?
Resserre bien ta capuche
La terre est humide, ici
L’humus s’étend en profondeur
Resserre bien ta capuche
Je suis content que tu aies accepté, accepté de venir
Après tout c’était ton idée, tu me diras
Mais je ne sais pas, je ne m’y attendais pas, pas tout à fait
Je me disais que c’’était peut-être des paroles en l’air
Des paroles en l’air, comme ça
Comme la rosée qui s’évapore passé midi
Tu as toujours… bon, je ne sais pas, tu n’as peut-être pas envie de parler de ça ?
Pas maintenant ?
Tu n’as pas froid ?
Les feuilles mortes font des coupes qui recueillent l’eau de la dernière pluie
C’est pour ça
Ça rafraîchit l’air
Enfin, je suis content de te voir
Tu as l’air heureux
Bien que
Non, heureux n’est pas tout à fait le bon mot
Je sais que pour toi, ce n’est pas grave, que ce ne soit pas le bon mot
Tu as déjà compris où je voulais en venir
Et je t’imagine sourire dans mon dos
À te demander pourquoi je parle toujours pour ne rien dire
Ce n’est pas grave, j’aime t’imaginer sourire
Mais quand-même, quand-même
Tu pourrais dire quelque chose
Au lieu de me laisser m’emmêler tout seul
Tu vois bien que je ne m’en sors pas
Tu le vois bien
Wilfred ?
WILFRED :
Je suis là, Mannie, je suis là
MANFRED :
Oui, je sais bien que tu es là
WILFRED :
Eh bien alors ?
MANFRED :
Dès fois, et je te le dis un peu directement
Il est encore un peu tôt
Je sais que je te le dis un peu directement
Mais ça me rend triste, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi
C’est ce sourire, tu vois
Ce sourire que tu portes quand tu nous vois
Je peux te le décrire, Wilfred
Un sourire léger, en retrait, patient
Comme si on ne pesait rien, nous
Nous, de peu de poids
Nous, une sorte de blague
Wilfred ? Tu m’entends ?
WILFRED :
Je me suis pris une toile d’araignée dans l’œil
Mais je t’écoute, tu sais, je t’écoute
MANFRED :
Tu as l’art de dire les choses avec tant de légèreté, tant de légèreté
Qu’on ne sait jamais ce que tu dis avec sérieux
WILFRED :
Sales bêtes
C’est vrai, ce qu’on dit
Ça te prend, ça t’accroche
Ce sont des pièges, Mannie, je te le dis, des pièges
MANFRED :
Comme si les choses n’étaient pas grand-chose
Manfred s’arrête de faucher.
Je garderai longtemps l’image de ce moment
Je me souviendrai de toi dans mon dos
Avec ce simple bâton dans ta moufle et les araignées dans leurs toiles au soleil
Mes yeux n’auront pas tôt fait d’oublier ce scintillement
Oh non, oh non
WILFRED :
J’ai déjà l’impression d’en avoir partout
Ça ne te fait pas ça, à toi ?
Moi, ça me le fait à chaque fois
MANFRED :
Pas tôt fait d’oublier
Oh non, oh non
Pendant les répliques suivantes, Wilfred dépassera Manfred en débroussaillant.
WILFRED :
Saloperie
Tu te souviens, après une journée en forêt ?
Dans la voiture on trempait encore dans l’odeur d’humide et de moisi
Ça prenait la tête, hein ?
Et on criait preums au bain pour savoir qui irait en premier
Tu te souviens qu’elle ne faisait couler qu’un seul bain ?
Et que le deuxième se baignait dans l’eau du premier ?
Pas étonnant qu’on veuille être preums
Mannie ?
Tu es encore là ?
MANFRED :
Oui, Wilfred
Oui oui
Je suis encore là
Tu ne m’entends pas faucher ?
WILFRED :
Attends, continue.
Wilfred s’arrête de faucher tandis que Manfred fauche.
Ah oui, je t’entends.
Wilfred reste sur place, jusqu’à ce que Manfred arrive à sa hauteur.
MANFRED :
Ah, tu es là. Je ne t’avais pas vu.
WILFRED :
Je suis là.
Ils sont côte à côte. Ils ne se regardent probablement pas de face.
WILFRED :
Sinon, ça va, toi ?