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GEORGES :

Un kilomètre


GUENIEVRE :

Ce n’est pas très clair

C’est celle-ci ou la prochaine ?

Ah, trop tard


GEORGES :

C’est la prochaine

GUENIEVRE :

T’es sûr ?


GEORGES :

C’est la prochaine


GUENIEVRE :

On ne voit rien avec ces panneaux mal éclairés


GEORGES :

Là. Pompe à essence. 500 m.


GUENIEVRE :

Mets ton clignotant

GEORGES :

Ça va, je sais


GUENIEVRE :

Pardon.


 

[Un temps.]


 

GEORGES :

Y a pas grand monde


GUENIEVRE :

Dommage

Sans phares de voitures

Fait bien noir ici


GEORGES :

Je ne sais pas où me mettre


GUENIEVRE :

Quoi ?


GEORGES :

Il y a trop de places libres

Je ne sais pas laquelle prendre


GUENIEVRE :

N’importe

GEORGES :

Choisis, toi


GUENIEVRE :

Celle-là, celle-là, là

Juste devant la porte d’entrée

GEORGES :

T’es sûre ?


GUENIEVRE :

Ouais, ouais


 

[Un temps.]


 

GUENIEVRE :

Café ?


GEORGES :

Oui.


GUENIEVRE :

Grand ?


GEORGES :

S’il te plaît.


GUENIEVRE :

Va t’assoir.

J’arrive.


GEORGES :

La petite table, là

À côté des magazines

Avec vue sur le parking


GUENIEVRE :

Sous le néon jaune ?

GEORGES :

Celui qui clignote, tu vois ?


GUENIEVRE :

D’accord.

Mais il n’y aura pas de vue

Il fait trop noir

Tu ne verras que des reflets

GEORGES :

Les pompes sont bien éclairées

Sous les portiques de taule

J’aurai vue sur les pompes

Les passagers glissant une jambe fatiguée

Dans l’interstice d’une portière

Les familles se séparant

Pour traverser l’étendue goudronnée

Maman d’un côté

Papa et fiston de l’autre

Chacun ses cabinets

La gêne de se retrouver là avec lui

Puis papa qui attend dans la voiture

Pendant que fiston retrouve maman

Pour acheter des crasses et un peu d’eau

Je vois tout ça d’ici


GUENIEVRE :

Attention, c’est chaud


GEORGES :

Merci


 

[Un temps.]


 

GUENIEVRE :

Pas trop fatigué ?


GEORGES :

Ça va

GUENIEVRE :

Tu tiens le coup ?


GEORGES :

Oui


GUENIEVRE :

Tu veux que je conduise, après ?


GEORGES :

Ça ira


GUENIEVRE :

Georges

GEORGES :

Oui ?


GUENIEVRE :

Relève la tête


GEORGES :

Quoi ?


GUENIEVRE :

Tu as les yeux plongés dans ton gobelet

La tête baissée


Comme alors

Avant de partir en Angleterre


Relève la tête


 

[Un temps.]

GEORGES :

Lors j’ai levé la tête et je n’ai su que te répondre

J’ai vu tes yeux de tendresse et de douleur posés sur moi

Et je n’ai su que te répondre


Et j’ai eu honte

Que ta tendresse et ta douleur se posent sur moi

Honte encore de cet amour qui sans raison

Se porte sur le meilleur des rois

Ou le plus vil des chevaliers

Car enfin, comment dévoiler l’imposture ?

Je ne suis point roi, je suis ce chevalier


GUENIEVRE :

Chevalier, je t’aime chevalier

Et si roi tu étais, roi j’aimerais

Et de cet amour gratuit et sans

Mérite, tu devras te contenter.


Crois-tu que j’aime tes prouesses ?

Ou que j’admire tes hauts-faits ?

Ils ne sont que fumées dont tu te pares

Afin de tromper ton cœur et les regards

Car la vraie honte, je vais la dire,

Que tu fuis, est celle-ci :

Sans courage tu parcours cette terre

Sans ferveur tu arbores ces chemins

Venant en aide à la veuve et l’orphelin

Car sans cause tu te vêts.


Ton armure n’est qu’apparat

Et ta lance, distraction que tu agites

Pour cacher le ver

Qui ronge et te dégrade :


Tu vis sans cause.


De mon amour tu te pares

Pour te consoler de ce fait

Mais le fait demeure

Et l’amour t’ennuie :

Tu vis sans cause.


Et maintenant, après des années d’être rongé par ce ver

Ne croyant plus, soudain, réchapper au creux qui grandit, tu viens

Tu t’effondres et te lamentes

Sur le genou de cet amour

Que tu croyais être un rempart

Et qui soudain te répond : Non

Georges, non chevalier

Relève-toi et part


GEORGES :

Où irai-je ?


GUENIEVRE :

Va où aventure te mène

Et qu’aventure t’advienne

GEORGES :

Errer ? Errer encore ?


GUENIEVRE :

Non point. Quêter, chevalier,

Quêter.

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